Dissociation et corps
La dissociation est un phénomène courant qui peut survenir comme une réponse en adaptation à des événements traumatiques. Ce n’est pas systématique mais il n’est pas rare de voir que cela se produit chez des personnes ayant subi des abus physiques ou sexuels, qui par conséquent, vont dissocier comme moyen de survie pour échapper à la douleur et à la terreur associées à ces expériences. C’est un mécanisme de défense inconscient, automatique du corps, et certains peuvent par ailleurs le ressentir ainsi « ma tête est dissociée de mon corps […] ça me permet de me protéger aussi. ».
La dissociation et le rapport au corps sont deux aspects complexes de l’expérience humaine qui peuvent avoir un impact profond sur la santé mentale et le bien-être. La dissociation, définie dans le DSM-5 (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux 5ème édition), fait référence à un processus mental où certaines informations, pensées, émotions ou souvenirs sont séparés de la conscience « normale » ou de l’accès volontaire. Cela peut se manifester de différentes manières, telles que des sentiments de dépersonnalisation (se sentir étranger à son propre corps ou à son expérience) « j’arrivais à dissocier ces 2 parties [de son corps] », « c’était comme si j’avais pas de corps avant », ou de déréalisation (percevoir le monde comme irréel ou détaché). La dissociation peut également inclure l’amnésie, dite traumatique, qui se traduit par des événements ou épisodes de la vie qui sont oubliés ou inaccessibles à la mémoire, « je suis sortie d’une amnésie traumatique par des cauchemars, etc », « je suis enlevée de l’oubli ». Par conséquent, la dissociation peut entraîner une altération de la perception de soi et de l’expérience corporelle.
Le rapport au corps, quant à lui, renvoie à la manière dont une personne perçoit, vit et interagit avec son propre corps. Il peut être influencé par des facteurs culturels, sociaux, psychologiques et individuels, ainsi que par des expériences traumatiques ou des troubles de santé mentale. Un rapport dit « sain » au corps implique une acceptation, une appréciation et un « respect » de son propre corps. Tandis qu’un rapport dit « dysfonctionnel » peut se manifester par des problèmes tels que la dysmorphophobie, les troubles du comportement alimentaire (TCA) ou l’automutilation ou des comportements autodestructeurs. Dans le contexte de l’inceste ou de la pédocriminalité, ces trois derniers sont fréquemment retrouvés et expriment généralement des tentatives de récupérer un contrôle ou un lien avec son corps, comme pour rétablir un contact plus positif avec celui-ci ou pour éviter/se détacher du négatif : « manger frénétiquement à peu près tout ce que je trouve gras, rassurant », « je mangeais tout et n’importe quoi qui pouvait me faire du bien. », « J’ai beaucoup de dégout envers moi-même […] Ça me pousse beaucoup à m’auto-détruire. », « j’ai une bonne période de drogue […] comme ça, le sommeil sera trouvé plus rapidement ».
La dissociation peut avoir un impact significatif sur le rapport au corps. Lorsque quelqu’un se dissocie, il peut se sentir étranger à son propre corps, comme s’il observait ses actions et ses sensations de l’extérieur, « comme si tout le bas n’était pas à moi ». Cela peut conduire à une déconnexion émotionnelle et sensorielle, ce qui empêche d’avoir une expérience complète de son corps mais également de pouvoir trouver ou s’apporter une pleine satisfaction de ses besoins physiques et émotionnels. La dissociation peut arriver au moment même de l’expérience traumatique, mais peut également persister dans le temps et interférer dans le quotidien, ce qui peut devenir problématique et nécessiter une intervention thérapeutique.
La thérapie peut jouer un rôle important dans la gestion de la dissociation et de la relation au corps. Les approches telles que la thérapie cognitivo-comportementale (TCC), l’intégration du mouvement oculaire (EMDR) et la thérapie de la régulation émotionnelle sont souvent utilisées pour aider à renforcer la conscience corporelle et à rétablir un sentiment de connexion avec le corps. D’autres thérapies telles que la musico thérapie, l’art thérapie ou le psychodrame (thérapie par le théâtre) sont également des méthodes moins courantes, mais tout aussi intéressantes, faisant le lien entre les ressentis émotionnels/physiques et le corps.
De manière plus personnelle, en dehors du cadre de la thérapie, il est fréquent de chercher des moyens de se reconnecter à son corps et ses sensations. Si certaines tentatives sont plutôt négatives bien qu’involontaires (automutilations et TCA), d’autres au contraire sont dans une approche plus positive. Les moyens les plus souvent partagés par les victimes sont : la marche, le sport (collectif ou individuel), la musique (écouter ou en faire), faire des créations (d’art ou autre, venir créer, produire de soi), et enfin une méthode peu commune : le tatouage, « c’est moi qui ai choisi […] Selon mes règles », en prenant le temps de bien choisir et y réfléchir, évidemment.
Ysaline Lahaye